Note de lecture

J. Branco : La pieuvre macroniste (G. Durand)

par Gérard Durand 22 novembre 2020

Juan Branco, Crépuscule, éd. Points, 2019, 264 p., 7,10 e.

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Juan Branco est un enfant de la bourgeoisie. Avant d’être normalien il est passé par l’Ecole alsacienne et Sciences po. Il a travaillé au sein de cabinets ministériels qui lui ont appris la plupart des règles de fonctionnement de la haute administration et plus généralement de l’état. Brillant écrivain et orateur, il a entre ses mains la possibilité d’une brillante carrière. Qu’il va jeter aux orties.

L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, encore inconnu un an avant de la quasi-totalité des Français, va être le déclencheur de cette décision. Depuis les cabinets ministériels il a pu observer comment, un petit groupe de milliardaires va bousculer notre démocratie en imposant un choix simple : Macron ou le Pen, et pourquoi cela a marché. Tout au long de ces 250 pages, il va démonter le système avec une précision chirurgicale.

De la formation des élites, des lieux de rencontres de la haute bourgeoisie, là où se décident les affaires et le destin de la nation. De la machine mise en place pour capter les richesses produites au seul profit de la caste dominante. Il lève le voile sur les méthodes, il donne des noms, connus ou discrets. Peu importe ce que cela va lui coûter, il sait qu’il n’aura pas de retour possible et que ses ressources seront réduites au RSA. Mais il veut que l’on sache, que le peuple sache ce qui se passe derrière ce que dit la presse écrite ou télévisée. Et il y parvient très bien, la lecture de ce livre ne peut laisser indifférent.

Les élites ont besoin de lieux pour se reconnaître et se rassembler, pour tisser les réseaux qui les soutiendront dans leur conquêtes ou maintien des pouvoirs économiques et politiques. L’un des plus célèbres est l’Ecole alsacienne qui va formater les plus jeunes de la fin du primaire jusqu’à la terminale. « Sous contrat avec l’état, l’école a le contrôle absolu sur le processus de sélection de ses élèves comme de son corps professoral. Elle n’est soumise à aucun quota, qu’il soit géographique ou économique. Ainsi on peut s’y reproduire et se socialiser sans crainte d’être contaminés par de mauvaises fréquentations. »

On trouve entre ses murs les héritiers les plus célèbres, dans une même promotion se trouveront la petite fille de Giscard d’Estaing, un héritier de Seydoux, un autre des de Gallard, le petit fils de Michel Pébereau, les noms de Breton, Peillon pour la politique et les affaire, comme pour le spectacle ceux d’Huppert ou de Scott Thomas. On y trouve aussi Gabriel Attal, promu par Macron, à 29 ans, plus jeune ministre de la Cinquième république et dont l’auteur va nous décrire en détail le parcours pour mieux démonter « cette illusion méritocratique ».

L’arrivée de Macron au pouvoir sera pour beaucoup de petits « Attal » une occasion inespérée de gravir tous les échelons à la vitesse de l’éclair. Le nouveau président manque de cadres et il accueille volontiers ceux qui promettent de le servir avec brio. C’est le défilé des même pas trentenaire, Emelien, Griveaux, Séjourné etc… On recrute à tour de bras et un certain Hugo Vergés devient à l’Elysée conseiller Amérique avec pour tout bagage ses 27 ans et deux stages outre Atlantique. Le népotisme règne en maître, l’épouse de l’un deviendra suppléante d’un autre que l’on fera élire député, pour lui permettre d’être ministre, laissant ainsi son siège à la dame ravie. L’argent aussi coule à flot, les milliardaires Hermand et Bergé n’hésitant pas à signer de chèques de plusieurs dizaines de milliers d’euros aux jeunes gens qu’on leur recommande.

Le grand capital est à l’arrière-plan, plus discret mais terriblement efficaces, il réunit la plupart des grandes fortunes françaises, avec pour chefs d’orchestre Bernard Arnault et son gendre Xavier Niel, grand ami de monsieur Macron. Détenteurs, entre autres choses, d’un empire de presse dont le groupe Le Monde, l’Obs et même une participation dans Mediapart ou l’attitude de monsieur Plenel vis-à-vis de Macron est sensiblement moins agressive que pour la plupart des autres hommes politiques. C’est un homme de main de Niel, Louis Dreyfus, qui surveille l’ensemble, non en censurant des articles, mais en ayant tout pouvoir pour recruter, licencier, déplacer, promouvoir etc… Chaque journaliste comprend le message, à tel point qu’il n’est plus nécessaire d’intervenir dans les rédactions, elles jouent d’elles-mêmes la bonne partition. Le plus bel exemple étant Laurent Delahousse, venant du même lycée qu’Emmanuel Macron.

Il y a aussi les hommes de l’ombre. Le plus connu, Alexandre Benalla, mais aussi les plus discrets, tels Ramzy Khiroun ou Denis Olivennes. Surtout sans oublier Michèle Marchand, cette dame au passé fort agité qui a réussi à s’intégrer dans la plupart des rédactions de la presse « people » comme à devenir une intime du couple Macron et à faire en sorte que de 2015 à 2017 ils bénéficient de plus de 8 000 articles, soit plus que toutes les oppositions réunies.

Cet ouvrage vous passionnera si vous vous demandez comment un homme à la carrure plutôt modeste et doté d’une expérience très moyenne a pu devenir le président de la sixième puissance mondiale. Alors même que ceux qui ne croient plus en la légende de celui qui se serait fait tout seul sont loin d’imaginer les forces mises en œuvre par l’oligarchie pour parvenir à ce résultat. Tout y est, la puissance des réseaux multipliée par celle de l’argent, les liens insoupçonnés, l’endogamie, les manœuvres souterraines pour s’approprier les richesses. Une grande leçon sur la fin d’un monde.

Gérard Durand


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