Culture / Cinéma

J’accuse : les choix d’un cinéaste (G. Casel)

par Gilles Casel. 10 décembre 2019

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

J’accuse, de Roman Polanski (2 h 12), avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner. Sorti le 13 nov. 19.

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Dans J’accuse, Roman Polanski impose ou propose, dans l’Histoire, son choix d’une histoire singulière qui n’est pas vraiment celle du capitaine Alfred Dreyfus, lequel pourrait bien n’en être que le prétexte.

Ce choix semble pouvoir être vérifié à trois points de vue.

  • Le fonctionnement de l’armée d’abord.

De la montée de l’antisémitisme (ou de son affirmation) ?) dans la société française, nous ne savons rien. On ignore les innombrables rééditions de La France juive, dont l’auteur, Edouard Drumont, "soutenu par les catholiques, donna à son récit une dimension religieuse en établissant une équivalence entre les Juifs et les Allemands… se présentait comme un révolutionnaire dénonçant une horrible domination, sauf que les criminels n’étaient pas les patrons mais les Juifs allemands et les victimes n’étaient pas les prolétaires mais les Français" [1] On ignore l’existence de La Croix, fondée et gérée par les Augustins de l’Assomption, et de leur pratique des faits-divers.

En conclusion, alors qu’il est question du sabre tout au long du film, il ne nous est rien dit du goupillon, ni de leur alliance. Il fallait le souligner.

  • Le personnage central : Un officier antisémite et « sans passion cléricale » !

L’antisémitisme comme le racisme, est frère du chaos et ne connait pas la nuance dans la détestation ou la haine, ou quelque limite que ce soit.

Au contraire, le film est centré sur le lieutenant-colonel Georges Picquart, personnage principal qui, en début de film, reconnait devant son élève (Alfred Dreyfus) qu’il est antisémite. Le colonel Picquart indique d’emblée à Dreyfus qu’il y a une limite à son antisémitisme : son honnêteté de professeur. Il lui dénie, lui, lieutenant-colonel Picquart, tout droit d’insinuer que la mauvaise note qu’il lui a infligée serait due à une autre raison que la mauvaise qualité de sa copie.
Chez cet officier-là, une insinuation est déjà une quasi-provocation, laquelle provocation impliquerait un duel. Tel est le colonel Picquart, sans doute très seul, et auquel le réalisateur attribue une maîtresse pour qui il éprouve des sentiments et donc une épaisseur humaine.

Dès lors les héros vont à leur destin dans le cadre des complots de l’état-major, puis du gouvernement et de l’état- major, qui ne veulent pas « d’une seconde affaire Dreyfus » là où Picquart qui ne veut décidément rien entendre, s’acharne à dire et rétorquer, y compris en haut lieu, qu’il n’y en a toujours qu’une : la même, l’affaire Dreyfus.

Quant au colonel Henry, méphistophélique, débonnaire et venimeux, il apparaît de temps à autre, toujours plus ou moins en service commandé, pour conseiller à Picquart de vendre son âme.

  • La rigueur dans la forme et sur le fond

L’armée est une machine (ou une bureaucratie) à cette époque, entre la guerre de 1870 et la grande guerre : donc aveugle comme chacun sait.

Les officiers ont « le sens de l’honneur » mais il leur est interdit et ils s’interdisent de montrer leurs sentiments quels qu’ils soient, si ceux-ci ne sont pas conformes à ce qu’il est admissible d’exprimer dans un monde de coercition sociale surdéterminée. Bref, la Grande muette, dans une société du refoulement. Les deux rencontres de Dreyfus et de Picquart sont un non-dialogue de deux caricatures.

Restent quelques humanoïdes : la marque de leur humanité est exprimée par leur perversité, d’autant mieux assumée en l’espèce, qu’elle est conforme à la raison d’Etat.

Roman Polanski ne s’est-il pas enfermé dans un piège dans lequel la société bourgeoise du 19e siècle avait enfermé les dominants : une forme de coercition qu’on appelle Ordre moral, qui interdit à chacun d’exprimer sa personne. Picquart s’exprime peu. Dreyfus est quasiment privé de tout texte : il n’est peut-être même qu’un prétexte, pour Roman Polanski, à dénoncer la machination de la machinerie militaire et gouvernementale.

Si on considère que même l’auteur de J’accuse ne prononce que peu de mots, c’est le moins qu’on puisse dire, Roman Polanski a-t-il été victime de sa propre option : à force de ne voir, dans le cadre qu’il s’est fixé, que silence, lui-même ne s’est- il pas quelque peu interdit toute marque d’originalité ? L’existence de la maîtresse du colonel Picquart - assignée, au demeurant, à son statut de femme aimante et victime - et son art, à lui Polanski, de la maîtrise du montage, lui sauvent-ils la mise aux yeux du public ? Probablement, puisque ce film est un très bon thriller.

On peut aussi se demander si Picquart et son amante - les personnages comme les acteurs - ne se sentent pas les seuls concernés dans cette histoire, à l’exceptions de tous les autres… y compris le réalisateur. Pour cause de trop de recul ? Ou de trop peu d’enthousiasme et d’énergie ?

Enfin, il est assez étonnant que le cinéaste qu’on sait, ait centré son film sur un homme qui considère son devoir comme un impératif catégorique ! Moralité : il semble que l’âme humaine soit effectivement complexe !

Gilles Casel

[1Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France, de la guerre de Cent ans à nos jours (éd. Agone), p. 462.



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