« Sciences, Raison et Laïcité ». Henri Pena-Ruiz : “La laïcité : un projet politique” (résumé)

Colloque du CLR (Paris, 7 mai 11) 6 mai 2011

Résumé

Henri Pena-Ruiz

Professeur en chaire supérieure de khâgne au lycée Fénelon (Paris)

La laïcité, principe d’émancipation universelle

S’il existe un mérite essentiel de la laïcité, c’est bien d’unir les hommes par-delà leurs différences. Mais on peut s’unir de différentes manières. On peut s’unir par et pour la soumission, comme dans le communautarisme théologico-politique. Pente facile et aliénante du particularisme partagé. On sait les dangers d’un tel type d’union, qui peut dégénérer en guerre des dieux ou « choc des civilisations ». La laïcité, quant à elle, unit les hommes par cela même qui les élève et les libère : des principes émancipateurs, de portée universelle, qui délivrent des traditions rétrogrades : liberté de conscience, égalité de droit de tous, promotion publique du seul intérêt général. Elle en appelle à une exigence libératrice : celle qui consiste, pour chacun, à prendre soin de ses pensées. L’idéal laïque fait donc le pari de la culture, de l’intelligence, de la capacité de transcender les particularismes sans pour autant les nier. Il assure à tous la liberté de conscience non seulement en droit mais aussi en fait, par l’autonomie de jugement que procure la raison et le sens du vrai que procure l’esprit scientifique et philosophique. Le concept d’instruction publique, forgé par Condorcet, est ici décisif.

L’expérience même de la liberté, comme le souci d’égalité, conduit à cultiver les exigences d’une pensée affranchie, maîtresse d’elle-même. C’est pourquoi la laïcité a partie liée avec la connaissance objective, admirable école de lucidité par les démarches de rigueur qu’elle met en œuvre. Au principe d’autorité (« Aristoteles dixit ») elle oppose le principe de raison (« ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle » Descartes, Discours de la méthode).

Dans « La Formation de l’esprit scientifique » Bachelard rêvait d’une société faite pour l’école, aux antipodes d’une école mise en tutelle par les préjugés de l’heure ou la logique du profit à court terme. Il faisait ainsi, après Condorcet, le pari d’une humanité éclairée, puisant dans les conquêtes de la science et la distance réflexive de la philosophie les ressources propres à faciliter une conduite individuelle et collective maîtrisée. Aujourd’hui de nouveaux obscurantismes ont surgi. Ils appellent une renaissance de l’esprit des Lumières selon une figure nouvelle. Quant aux mélanges de populations aux traditions diverses ils requièrent des Etats conçus comme des cadres juridiques et politiques fondés sur des principes universels, qui incluent sans exclure car ils mettent à distance les particularismes. Bref, des États laïques. On voit bien dès lors la convergence de la science, de la philosophie de l’émancipation, et de l’universalisme républicain, seule réponse viable aux défis actuels.

Tel est le projet politique, au sens noble du terme, que l’idéal laïque peut et doit assumer aujourd’hui plus que jamais. Et dans ce projet, la science doit avoir une place essentielle, à rebours de sa mise en cause par des diagnostics irrationnels et faux concernant les dérives de notre modernité. Nul scientisme dans une telle idée. Mais le simple constat d’une exemplarité légitime tant par l’universalité des connaissances scientifiques et l’éthique de la pensée rigoureuse dont elles sont le produit que par la portée émancipatrice du savoir et de sa dynamique.

Citations

« L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. »

Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique (1938), Vrin, coll. " Bibliothèque des textes philosophiques ", 1993, p. 14.

« …Plus les hommes seront éclairés, moins ceux qui ont l’autorité pourront en abuser, et moins aussi il sera nécessaire de donner aux pouvoirs sociaux d’étendue ou d’énergie. La vérité est donc à la fois l’ennemie du pouvoir comme de ceux qui l’exercent ; plus elle se répand, moins ceux-ci peuvent espérer tromper les hommes ; plus elle acquiert de force, moins les sociétés ont besoin d’être gouvernées. »

Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, Ve Mémoire sur l’Instruction publique (1792), dans Écrits sur l’Instruction publique, vol. I, Edilig, 1989, pp. 227-228.


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