Note de lecture

H. Védrine : Refonder l’Europe

par Pierre Biard. 2 janvier 2017

Hubert Védrine, Sauver l’Europe ?, Liana Levi, nov. 2016, 94 p., 10 €.

Voici un petit livre qui fera date. Non seulement par la pertinence de ses analyses mais surtout par la très originale proposition de l’auteur pour sortir de l’impasse : faire une pause dans l’élargissement de la construction européenne, pause qui permettrait, ayant établi un bilan de ce qui marche et de ce qui ne marche pas, une refondation sur des bases saines et acceptées par les états comme par les peuples. Hubert Védrine n’est pas ce qu’on pourrait désigner par le néologisme d’ "eurolâtre". Une longue expérience de la politique et de ses responsabilités, ajoutée à une grande lucidité, l’éloigne de toute les utopies, fussent-elles séduisantes, comme l’a été, au moins en partie, le projet européen. Mais s’il considère l’Union européenne avec réalisme, s’il en voit bien les faiblesses, il ne lui est pas hostile, bien au contraire : c’est parce que l’Europe est "une construction admirable", qu’il faut la sauver, et, en toute hâte, quand bien même faudrait-il la rebâtir.

L’ouvrage est organisé en trois parties dont le titre résume explicitement le contenu, ainsi de la première : "Un décrochage manifeste des peuples". Décidée par une élite, sûre d’elle-même et de son projet, l’Europe s’est faite, pratiquement sans les peuples. Sans doute au fil du temps lui a t-il fallu répondre à certaines critiques en laissant s’exprimer les gens "ordinaires" au moyen de référendums. Mais, ou bien ceux-ci ont été gagnés de justesse (Maastricht), ou perdus largement, comme ce fut le cas du traité constitutionnel de 2005, mais contourné peu après par le traité de Lisbonne. Qu’en sera t-il du Brexit ? Le vote semble sans appel et pourtant ses conséquences à plus ou moins long terme restent à négocier. Dans tous les cas et avec l’approbation de la plupart des medias, l’élite "européiste" estime avoir eu raison contre les électeurs et leurs inspirateurs, tous qualifiés avec mépris du terme fourre-tout de "populistes". Mais le résultat d’un élargissement à tout va d’après la chute du communisme en Europe de l’Est, comme les attaques constantes et sans nuances sur l’identité des peuples, le sentiment national et la souveraineté des Etats, n’ont fait qu’exaspérer l’opinion publique et monter la méfiance, sinon l’hostilité, moins contre le projet européen lui-même - les sondages montrent qu’une majorité lui reste favorable - qu’à l’encontre des porteurs de ce projet. Faut-il s’étonner de la croissante désaffection aux élections des députés européens (deux électeurs sur trois) ? Sans doute y a-t-il d’autres causes à la fragilité actuelle de l’Union européenne et Hubert Védrine en analyse quelques unes, mais la raison essentielle réside dans ce fossé qui ne cesse de s’approfondir entre le peuple et les élites.

Ces dernières sont-elles si aveugles ou si inconscientes qu’elles ne tentent de justifier leur action ? En fait, écrit l’auteur, elles s’efforcent de le faire mais elles ne font qu’apporter (2e partie) "de mauvaises réponses à un crise existentielle". En utilisant, par exemple, la pire des métaphores, celle du vélo : si vous ne continuez pas à pédaler, vous risquez la chute. Sans se laisser impressionner par les critiques des anti-européens, Il faut poursuivre dans la même voie, agrandir encore le territoire européen, veiller à l’absolue liberté de circulation des biens, des services et des hommes, accroître une concurrence jugée par essence favorable au progrès, et pour cela, multiplier les réglementations et les normes sans craindre de descendre aux plus petits détails. Mais comment ne pas constater les dangers, l’inefficacité, quand ce n’est pas, tout simplement, le ridicule, de certaines de ces mesures ?

Enfin, et c’est le chapitre le plus original et le plus développé (plus de cinquante pages), la troisième partie, reprenant presque mot pour mot le titre de l’ouvrage, s’intitule : "Sauver "le projet Europe"". Après avoir accepté une pause, particulièrement dans les multiples et parfois brouillonnes initiatives de la bureaucratie de Bruxelles, ayant précisément constaté les faiblesses comme les point positifs à conserver, une conférence refondatrice à laquelle participeraient les seuls pays volontaires, établirait un projet portant sur des points fondamentaux (subsidiarité, sécurité, Europe-puissance, défense européenne, harmonisation fiscale, préservation du mode de vie européen), immédiatement soumis, le même jour, à l’approbation des pays représentés à la conférence.

Ecrit dans une langue simple, soutenu par une analyse claire et rigoureuse, souvent convaincant, cet ouvrage qui se lit d’une traite, mérite toute l’attention, particulièrement des professeurs enseignant en lycée mais aussi du plus large public.

Pierre Biard


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