Revue de presse

Flemming Rose : « Dès que les médias intériorisent la peur, c’est fini » (Le Figaro, 14 jan. 15)

16 janvier 2015

"L’ancien rédacteur en chef du journal danois Jyllands Posten réagit à l’attaque contre Charlie Hebdo. En 2005, le quotidien publie douze caricatures de Mahomet.

Aujourd’hui chef de la politique étrangère du grand journal danois Jyllands Posten, dont il était rédacteur en chef pendant la publication des caricatures de Mahomet en 2005, Flemming Rose est l’une des cibles des islamistes radicaux aux côtés du caricaturiste Kurt Westergaard. Il a publié The Tyranny of Silence, sorti en novembre aux États-Unis (Cato Press, 2014).

Votre réaction à l’attaque contre Charlie Hebdo ?

Flemming ROSE. - C’est un cauchemar qui devient réalité. Je vis la pire semaine de ma vie professionnelle, depuis les attaques contre nos ambassades après la publication des caricatures de Mahomet en 2006. Mais, contrairement à 2006, je ne suis pas surpris. Il y avait eu une attaque à la bombe contre Charlie Hebdo, des menaces de mort. Il y a eu plusieurs tentatives d’attentats contre notre journal Jyllands Posten, et notamment contre le caricaturiste Kurt Westergaard et moi-même. Seule la vigilance des citoyens danois et le manque de professionnalisme des comploteurs les ont empêchés d’aboutir. Je connaissais certaines des victimes, comme Wolinski. J’ai été témoin au procès de Charlie Hebdo. Tous les journalistes de Jyllands Posten peuvent s’identifier avec Charlie, car ce qui est arrivé peut nous arriver.

Est-ce parce que Charlie Hebdo était isolé dans son combat qu’il a pu être frappé ?

Absolument. J’ai travaillé sur l’URSS, c’était le même mécanisme de peur. Le seul moyen de lutter contre la censure parmi les dissidents était que tout le monde signe les pétitions. Le Mur est tombé quand les gens ont cessé d’avoir peur. Dès que vous intériorisez la peur, c’est fini. Je crains que cela se produise en Occident face aux radicaux islamistes. La réalité est que nous avons intériorisé la fatwa lancée contre Salman Rushdie pour ses Versets sataniques. Il n’existe pas de loi contre le blasphème en Occident, mais nous avons intériorisé la peur d’une loi qui n’existe pas.

Jyllands Posten n’a pas publié les caricatures de Charlie Hebdo après les attaques. Pourquoi ?

En 2008, après un attentat déjoué contre Kurt Westergaard, tous les journaux danois ont publié des caricatures du Prophète. Puis plus rien. La justification, fallacieuse, a été qu’on les avait publiées souvent…. Quand Kurt Westergaard a failli être assassiné en janvier 2010, personne n’a publié de caricatures, pas même nous. Un autre argument est que nous ne devons pas insulter les sensibilités religieuses d’une minorité vulnérable. Mais cette minorité radicale n’a rien de faible. Ces gens-là sont sacrément puissants pour avoir été capables d’intimider l’espace public en Europe.

Oui, nous n’avons pas publié les caricatures après les attaques, c’est grave et triste. Mais je peux comprendre le rédacteur en chef, après ce que je vis depuis neuf ans. Il pense à la sécurité de ses journalistes. Au moins, nous sommes honnêtes. Nous avons publié un éditorial titré « La violence marche ». Nous reconnaissons que nous nous soumettons à l’autocensure. L’épée est plus forte que le stylo. Il y a neuf ans, je pensais que c’était l’inverse. Je pensais que notre journal pourrait gagner ce combat. Mais je sais maintenant que nous avons besoin de beaucoup plus de soutien populaire.

La mobilisation des Français donne-t-il un peu d’espoir ?

Je suis très heureux de cette mobilisation. Mais je reste circonspect, car une manifestation ne compte pas à long terme. Ce qui compte, ce sont les décisions au quotidien de chaque journal. Quand Theo Van Gogh a été tué par un extrémiste musulman en 2004, il y a eu une vague de soutien qui s’est essoufflée. On a vu au contraire apparaître, aux Pays-Bas, une pression pour renforcer « les lois contre la propagation d’un discours de haine ». Le ministre de la Culture a même dit si que si on avait eu des lois semblables, Theo Van Gogh serait en vie ! Sous-entendu, c’était sa faute.

En Amérique, l’on affirme qu’en offensant l’islam, on provoque la violence…

Cette culture de la défense des offensés est devenue centrale dans les cercles académiques américains. Elle est très dangereuse, car elle détruit la distinction fondamentale, depuis les Lumières, entre le mot et l’action. Elle affirme que dire quelque chose d’offensant est aussi grave que commettre un crime violent. Alors qu’une caricature, c’est ce qu’il y a de plus civilisé et pacifique ! Cette érosion de la distinction entre mots et actes sape la liberté de parole. Elle nous rapproche des dictatures."

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