Revue de presse

"Et si les bobos n’existaient pas ?" (lepoint.fr , 6 av. 18)

8 avril 2018

"Dans un ouvrage collectif, cinq universitaires récusent la pertinence scientifique du terme « bobo », aujourd’hui très connoté et fourre-tout..."

Jean-Yves Authier, Anaïs Collet, Colin Giraud, Jean Rivière et Sylvie Tissot, Les bobos n’existent pas, Presses universitaires de Lyon, 204 pages, 18 euros.

"Mais qui sont vraiment les « bobos » ? Depuis une quinzaine d’années, hommes politiques, journalistes et artistes utilisent ce qualificatif à tout bout de champ. Dans l’imaginaire collectif, les « bourgeois-bohèmes » représentent une population de gauche, issue de la classe moyenne, diplômée, habitant dans le centre-ville des grandes métropoles et dont le capital culturel est plus déterminant sur les choix de vie que le capital économique.

En réalité, chacun a sa propre définition du terme. Certains pensent aux habitants de Saint-Germain-des-Prés, d’autres les croisent à vélo sur les rives du canal Saint-Martin. Mais ni les uns ni les autres ne se revendiqueront bobos. Finalement, on est tous le bobo d’un autre. Le concept, popularisé autour de 2008 en France, est devenu fourre-tout, et c’est bien ce qui gêne les sociologues : « Il y a une inconsistance sociologique du mot. Or, les sciences sociales travaillent sur des concepts stables », explique Jean Rivière, géographe à l’université de Nantes. En réfléchissant, le mot « bobo » regroupe une multitude de profils sociaux, allant du publicitaire à hauts revenus à l’intermittent du spectacle, en passant par l’artiste. « Le problème, c’est que même nos étudiants commencent à utiliser ce mot dans leurs copies », raconte mi-amusé, mi-embêté, Jean Rivière, maître de conférences en géographie à l’université de Nantes.

Il était donc urgent de mener une réflexion scientifique, loin des ressentis de chacun. Dans leur ouvrage paru le 29 mars, et au titre délibérément provocateur, Les bobos n’existent pas, cinq universitaires en sciences sociales (Jean-Yves Authier, Anaïs Collet, Colin Giraud, Jean Rivière et Sylvie Tissot) ont mené une enquête sociologique et historique pour déconstruire le terme et l’image caricaturale qu’il véhicule. Leur constat ? Les bobos représentent un groupe aux contours trop vagues et regroupant des profils très hétérogènes. Et surtout, la classe politique a rendu les bobos infréquentables.

Instrumentalisation

Le terme « bobo » apparaît pour la première fois en 2000, avec la publication de Bobos in Paradise, de l’Américain David Brooks. L’auteur n’est pas un sociologue, mais un journaliste du courant néo-réactionnaire, selon la sociologue Sylvie Tissot. À l’époque, l’essayiste désigne par « bobo » l’upper class américaine née dans les années 60, sensibilisée aux mouvements pour les droits civiques des années 70 et ayant fait ses études dans la Ivy League (les huit plus prestigieuses universités américaines) avant d’accéder à de hauts postes à responsabilités. « En fait, ce livre, écrit avec un ton moqueur, est une sorte de procès fait à ces Américains, analyse le sociologue Jean-Yves Authier, sociologue à l’université Lyon-2. Mais aux États-Unis, le terme “bobo” n’a pas perduré, contrairement en France. »

Dans le second chapitre du livre, Anaïs Collet, maître de conférences en sociologie à Strasbourg, et Jean Rivière reviennent sur la politisation du terme en France. Sa propagation dans les articles de presse correspond à la période des élections municipales de 2001. « C’est l’époque où Paris et Lyon, deux des trois villes françaises les plus importantes, sont passées sous l’égide de la gauche plurielle », rappelle Jean Rivière.

Un terme très connoté

Mais c’est vraiment avec l’élection présidentielle de 2007 que le mot « bobo » va abonder dans le discours politique. Alors que Nicolas Sarkozy mène sa première campagne présidentielle sur les thèmes du travail et de l’identité nationale, les « bobos » « incarnent la pensée post-soixante-huitarde libérale sur le plan moral et de la culture, autrement dit un repoussoir », explique Jean Rivière. Plusieurs quotidiens nationaux, notamment Libération et Le Figaro, participent largement à la diffusion du terme, selon l’étude menée par les sociologues. En 2007, les deux journaux utilisent 146 fois le terme, contre 64 fois en 2001.

Cinq ans plus tard, en 2012, le mot « bobo » est dans toutes les bouches des personnalités politiques, sauf socialistes. « Ils sont enrôlés dans les luttes de partis, raconte Jean Rivière. Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, mais aussi Jean-Luc Mélenchon, qui critique les électeurs du PS », utilisent le terme de manière péjorative. Comme l’expliquait Le Point en 2014, à l’occasion de la sortie du livre La République bobo (Stock), écrit par les journalistes Thomas Legrand et Laure Watrin : « À l’extrême gauche, cet avatar bio de la gauche caviar prend l’allure d’un social-traître, principal responsable de l’embourgeoisement en chassant le vrai peuple des centres-villes. » Du côté de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen proposait une définition à LCP en avril 2012 : « Le bobo est plutôt de gauche et il est plutôt poilu de la gueule. C’est la mode musulmane ça, d’être poilu de la gueule. Comme ça, ça vous fait prendre pour un FLN. »

« En résumé, on a les bobos versus le vrai peuple », estime Jean Rivière. Depuis quelques années, beaucoup reprochent aux bobos leur hypocrisie : ils porteraient des valeurs sociétales progressistes tout en adoptant des pratiques d’évitement des classes populaires. Si les sociologues se défendent de tout jugement, ils regrettent la connotation très péjorative qu’a acquise le mot « bobo » : « Par la même voix, cela délégitime et discrédite les luttes sociales, féministes, écologiques associées aux bobos. » On leur oppose une vision très dégradante « des catégories populaires perçues comme sexistes, anti-diversité et anti-immigration ». Aux bobos, les sociologues préfèrent le terme « gentrificateurs », à savoir les ménages des fractions hautes des classes moyennes qui opèrent un nivellement par le haut des quartiers populaires, dans le parc de logement, l’activité commerciale et culturelle, et les espaces publics. Un concept sociologique plus clair, et qui, pour le coup, fait l’unanimité dans le milieu."

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