Revue de presse

Corse : « Un tel démantèlement de la nation française devrait être soumis à référendum » (Collectif, Le Figaro, 20 mars 24)

(Collectif, Le Figaro, 20 mars 24) 20 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Dans son discours prononcé le 4 octobre 2023 au Conseil constitutionnel pour le 65e anniversaire de la Ve République, le président Macron reconnaissait solennellement que « veiller au respect de la Constitution, comme c’est la charge du chef de l’État aux termes de son article 5, c’est aussi être scrupuleusement fidèle à son esprit ».

Il faisait alors l’éloge d’un régime « qui combine la liberté et l’autorité, l’ordre et le pluralisme, la démocratie et l’unité dans un mélange heureux, français, républicain » sous l’empire d’une Constitution qui est « la traduction politique de l’esprit public français ». Il constatait que notre loi fondamentale est tout à la fois un régime et un projet exprimés dans son article 1er, lequel contient tous les maillons de notre chaîne républicaine et les quatre piliers de l’idéal des Lumières : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Il concluait son apologie d’une « nation si politique » et d’un « pays bâti par la volonté autour d’une langue et d’un État, où l’unité est un combat à toujours recommencer » par la phrase définitive : « Je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt de la France, ni dans la cohérence de son histoire de changer de République ». C’est précisément au nom de ces principes d’unité, de laïcité et d’égalité devant la loi que fut discutée et adoptée en 2021 la loi confortant le respect des principes de la République dite « loi séparatisme » qui se proposait de lutter contre le communautarisme.

Mais les Français sont désormais habitués à ce que lorsque l’exécutif abandonne apparemment le « en même temps », il revienne aussitôt au galop. En l’espace de quelques mois, nous avons vu fleurir les projets de révision constitutionnelle destinés à contourner et à écarter les principes énoncés à l’article 1er de la Constitution. Celui-ci ajoute en effet aux quatre piliers énoncés le méta-principe : « La France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », l’article 2 affirmant quant à lui que « la langue de la République est le français ». Ici réside l’essentiel du modèle républicain hérité de la Révolution qui consacre la répudiation des discriminations fondées sur les appartenances communautaires et fut inscrit de façon magistrale dans la première Constitution française : « Il n’y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français. »

Outre le projet de pérenniser les privilèges autochtones en Nouvelle-Calédonie en portant définitivement atteinte au suffrage universel sur le Caillou, et celui de réformer l’application du code de la nationalité pour le seul territoire de Mayotte (conduisant à ce que les conditions d’accès à la nationalité française ne soient pas les mêmes selon la partie du territoire où l’on est né), le président de la République s’apprête à porter un troisième coup (et non le moindre) aux principes dont il faisait l’éloge en octobre.

Le projet de révision constitutionnelle relatif au statut de la Corse propose en effet d’accorder à ce territoire un nouveau statut dérogatoire et un pouvoir législatif local fondés sur son « insularité méditerranéenne et sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ». C’est renier les principes fondamentaux des articles 1er, 2 et 3 de la Constitution et déchirer le contrat social des Français. En outre, dès lors que les statuts territoriaux dérogatoires sont ainsi accordés sur des critères purement subjectifs fondés sur le « ressenti » identitaire de nature ethnique invoqué par les élus, on ne voit pas, en effet, pourquoi les mêmes privilèges ne seraient pas étendus à la Bretagne, à l’Alsace, au Pays basque et à toutes les collectivités dont les élus prétendent se prévaloir d’une « identité forte ». Et comment cette notion de communauté, désormais constitutionnalisée, n’inspirerait-elle pas d’autres revendications communautaristes, ethniques ou religieuses ?

Le Conseil constitutionnel avait, en 1991, censuré, au nom de l’indivisibilité de la République, une loi prévoyant que « la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques ». Robert Badinter, que le président de la République se propose aujourd’hui de panthéoniser, disait alors que c’était la décision du Conseil dont il était le plus fier. C’est pourtant cette fidèle application des principes républicains qui, selon la jurisprudence constante, « s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance », qu’il s’agit de contourner par une révision de notre pacte fondamental.

Il n’est pas imaginable que cette remise en cause du cœur de l’identité constitutionnelle française, ne soit pas soumise au référendum constituant. Il appartient, en effet, à la nation tout entière de consentir, si elle le souhaite, à son démantèlement.

En outre, la loi constitutionnelle de 2003 sur l’organisation décentralisée de la République a aussi prévu la possibilité expresse de consulter les électeurs d’une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier lorsqu’il est envisagé de modifier celui-ci. Consultés à ce titre, les électeurs corses avaient refusé, en 2003, le changement de statut qui leur était proposé, avant que la loi du 7 août 2015 ne vienne contourner délibérément leur vote en leur imposant la réforme dont ils n’avaient pas voulu. À l’heure où l’on célèbre partout le « consentement », il serait tout de même indispensable de demander d’abord aux Français s’ils acceptent de renoncer à leurs principes constitutionnels fondateurs et, le cas échéant, d’interroger ensuite les Corses sur un projet de statut qui les voue à l’assignation communautaire, au repli identitaire et à l’omerta imposés par certains de leurs féodaux.

Le 4 octobre dernier, le président Macron citait Charles Péguy dans son discours au Conseil constitutionnel : « Une révolution n’est pas une opération par laquelle on se contredit. » La contradiction semble pourtant en permanence à l’ordre du jour de l’exécutif.

*Les signataires :
Pierre Avril, professeur émérite à l’université Panthéon-Assas ;
Marie-Françoise Bechtel, ancienne vice-présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale ;
Jean-Michel Blanquer, professeur à l’université Panthéon Assas, président du Laboratoire de la République ;
Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin ;
Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel et de l’Assemblée nationale ;
Renaud Denoix de Saint Marc, ancien vice-président du Conseil d’État et membre du Conseil constitutionnel ;
Alexis Fourmont, maître de conférences à l’université Paris 1 ;
Yves Gaudemet, membre de l’Académie des sciences morales et politiques ;
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite à l’université de Rennes ;
Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel et de la commission des lois de l’Assemblée nationale ;
Benjamin Morel, maître de conférences à l’université Panthéon-Assas ;
Olivier Pluen, maître de conférences à l’université Paris Saclay ;
André Roux, professeur émérite à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence ;
Jacques de Saint Victor, professeur à l’université Sorbonne Paris Nord ;
Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel ;
Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel.



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