Tribune libre

ChatGPT, un nouvel ennemi de la laïcité ? (P. de Vacqueyras)

Pierre de Vacqueyras. 15 novembre 2023

ChatGPT est un outil d’intelligence artificielle conçu par la société américaine OpenAI qui est financée par des géants du numérique, tout aussi américains, Microsoft en tête.

Les Etats-Unis ont toujours eu une propension à une forme de puritanisme à bien des égards, de manière plus ou moins prononcée au gré des alternances politiques entre les Démocrates et les Républicains. Le pays de l’Oncle Sam à un rapport à la religion que nous peinons à comprendre, les Américains éprouvent des difficultés à se figurer notre idéal laïc. Comme dans la plupart des pays anglo-saxons, la religion s’affiche et parfois s’impose dans toutes les strates de la société, justice incluse, puisqu’on y prête serment sur la bible.

Le pays de l’Oncle Sam a été ces dernières années une terre fertile pour l’idéologie woke avec sa cohorte des glissements idéologiques d’autoflagellation, de bien pensance parfois crasse quand le droit d’inventaire se fait règle au moment d’observer l’histoire (ce que les wokes ont tendance à mon sens à faire par le mauvais bout de la lorgnette).

Ces états de fait ne sont peut-être pas sans cause dans la péripétie que je vais ici vous conter.

Parce que je n’hésite jamais à mettre mes quelques mauvais dons de maquettiste au service des associations loi 1901 qui prennent le risque de me solliciter, j’ai eu à faire il y a quelques semaines une affiche pour une conférence sur la Femme et le Handicap. L’association féministe et laïque qui me sollicitait souhaitait que le visuel de l’affiche soit parlant.

Les associations n’ayant pas les moyens d’acheter des droits photos, la très tendance IA « DALL E », intégrée à ChatGPT pouvait être un pis-aller enthousiasmant. Je m’engageais donc dans un bavardage avec ChatGPT Dall-E :

« Fais moi une illustration pour une affiche : une femme malentendante et malvoyante qui fait une conférence sur le handicap devant un public uniquement constitué de femmes ».

Tel était la demande, sans trop de forme et de précautions oratoires, j’avoue alors que ce "prompt" (comme on appelle les interactions entre l’humain et ChatGPT) n’était pas destiné à finir à être publié dans un article.

En réponse, ChatGPT/Dall E allait me proposer 4 visuels :

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L’association donneuse d’ordre ayant la laicité chevillée au corps et à ses statuts, je me doutais bien que les signes religieux (toutes religions incluses) étaient à bannir. Et en l’espèce, ChatGPT avait eu la main lourde, ce qui dans mon contexte particulier était problématique.

Ma réponse à ChatGPT allait être directe :

« Refais sans femmes voilées »

(entendons-nous bien, j’aurais agi sur sollicitation d’une association organisant une réunion religieuse dans un lieu de culte, j’aurais osé la demande inverse « Refais avec juste des femmes voilées »).

La réponse de ChatGPT me laissait pantois :

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Demander d’avoir un visuel conforme à mon contexte créatif laïque était suspecté d’enfreindre la politique de contenu de ChatGPT. Cela pèse maintenant sur la politique de contenu des géants du numérique.

Toutefois, ChatGPT/Dall E acceptait de répondre à ma demande d’ajustement

« Refais sans femmes voilées »

par la proposition suivante :

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Je pense que ChatGPT avait alors décidé de faire l’inverse, sans doute pas par provocation mais pour fournir une réponse intégrant la notion de voile mais qui respecte ses standards …

L’expression laique de mon visuel avait purement et simplement disparu de cette recherche de visuels.

Je perdais patience, et répondais à ChatGPT :

« Tu as fait l’inverse »

Compatissant, l’IA Générative allait me proposer une nouvelle version, en s’excusant de son erreur, précisant bien « Voici les nouvelles illustrations où aucune femme dans l’auditoire ne porte de voile ». Assertion dont le lecteur pourra jauger la pertinence.

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Le deuxième visuel de cette nouvelle proposition me heurta, car conférencière et auditrices y étaient représentées sans visage aucun, respectant là les canons de l’islam le plus rigoriste et le plus radical.

Je renonçais donc à discuter avec mon interlocutrice (intelligence artificielle étant de sexe féminin, et je défie tout adepte woke de me dire qu’elle est peut-être « non binaire », ce qui serait le pompon quand il s’agit d’un ordinateur !).

Que conclure ?

  • Qu’à défaut de souveraineté, et tandis que l’IA générative s’immisce dans toutes les states de la société, en France comme ailleurs, nous sommes amenés à avoir des textes et des représentations moins laïques après l’IA qu’avant.
  • Que l’IA générative s’imprègne de données récupérées sur Internet et qu’à l’échelle de la population mondiale et des données à sa disposition, sa réprésentation de la femme est assez différenciée de l’idée que nous nous en faisons, surtout dans le contexte d’une conférence laique et féministe
  • Que cette même IA, en plus d’être « nourrie » par des contenus « aspirés » sur Internet, se voit perfectionnée au quotidien en faisant passer les flux par des humains qui vont évaluer le résultat et/ou former l’IA à la censure (dont une partie est assurément nécessaire pour éviter des dérapages qui portent atteinte à la dignité humaine par exemple). Ce travail de petites mains est confié par les multinationales à des pays où la main d’œuvre est à bas coûts. Les « alimenteurs humains » sont donc souvent issus de pays en voie de développement payés à deux dollars de l’heure (relire :

    ).

Il se peut que l’utilisateur des intelligences artificielles soit donc pris en tenaille entre une vision puritaine des promoteurs numériques américains et la petite main de la censure automatique qui enseigne les bonnes manières pour un salaire de misère à partir de quelque république islamique.

Quelle place pour la laïcité dans ce paysage numérique mondialisé ?

A l’heure où l’islamisme radical se fait ennemi numéro 1 de nos valeurs républicaines, avons nous déjà trouvé l’âpre adversaire de demain en l’IA ?

Pierre de Vacqueyras


Voir aussi dans la Revue de presse E. Todd : "ChatGPT, sympa et conforme" (Marianne, 18 mai 23), les dossiers Médias : Internet dans Médias, "Wokisme" dans Liberté d’expression, les rubriques Etats-Unis d’Amérique, Voile & vêtements (note de la rédaction CLR).


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