Revue de presse

"Charlie et ses confrères : « - Je t’aime ! - Moi non plus »" (A. Mercier, inaglobal.fr , 19 mai 15)

23 mai 2015

"Comment les journaux français se sont-ils positionnés vis à vis de Charlie Hebdo à partir de 2006, date à laquelle il publia les caricatures parues dans le journal danois Jyllands Posten ? Quel positionnement ont adopté, pour leur part, les journaux anglo-saxons ?

[...] Des membres (ou anciens) de la rédaction de Charlie Hebdo ont mis en accusation certains de leurs confrères critiques (mais aussi des hommes politiques ou des intellectuels) en soulignant que leurs véhémentes dénonciations avaient donné raison aux pires adversaires du journal et créé un climat propice aux attaques. Citons trois exemples :

1°- Dans une tribune pour Libération, le politologue Vincent Geisser (20 septembre 2012) écrivit avec un sens aiguisé de la nuance : « Charlie Hebdo n’est pas dans la défense de la liberté d’expression. Il ne fait que tomber à pieds joints dans le piège de ce débat identitaire et binaire, j’y vois une forme de salafisme laïc ! [...] Charlie Hebdo ne cherche qu’à imposer sa pureté laïque en traitant tous les autres de fanatiques ».

2°- Le Nouveau Parti Anticapitaliste d’Olivier Besancenot alla jusqu’à traiter cet hebdomadaire clairement gauchiste, de réactionnaire : « À sa manière, Charlie Hebdo participe à l’imbécillité réactionnaire du choc des civilisations » (20 septembre 2012). Le même jour, Daniel Cohn-Bendit, ancien leader de mai 68 (atteint d’amnésie ?), qualifia sur RMC les dirigeants du journal, de « cons » et de « masos », en affirmant : « Ils répondent à des cons musulmans, certes, mais il ne faut pas me dire qu’il n’y a pas de limites dans la provocation, ce n’est pas vrai ».

3°- Un collectif, composé en autres d’Alain Gresh du Monde diplomatique, évoque « une voie dangereuse », « celle d’accuser les critiques de Charlie Hebdo d’être, plus ou moins directement, responsables des morts du 7 janvier ». Et de citer Jeannette Bougrab : « À force de les pointer du doigt, de dire qu’à Charlie Hebdo ils sont des islamophobes, qu’ils détestent l’islam (...) bien sûr qu’ils sont coupables ». Puis Alain Gresh rétorque : « Ces attaques cherchent à nous enfermer tous dans des choix binaires (pour Charlie Hebdo ou pour les terroristes), à criminaliser ceux qui se mobilisent contre l’islamophobie, ceux qui ont critiqué l’hebdomadaire satirique, en le traitant de complice des assassins » (Le Monde, 16 janvier 2015).

[...] D’un côté, on trouve une partie de la presse qui a toujours soutenu l’hebdomadaire satirique face aux difficultés, par affinité idéologique (Libération, Marianne ou l’Humanité, surtout) ou par principe, celui de la défense vaille que vaille de la liberté de la presse. À l’autre bout du spectre, on trouve des critiques, plus ou moins virulentes. Entre les deux, une majorité des journaux oscille, au gré des circonstances, et/ou s’essaie à une position médiane. [....]

Les provocations de l’hebdomadaire satirique déclenchent des accusations fortes. Certains y voient une pure opération commerciale (faire polémique sur l’islam fait vendre). À propos du numéro spécial Charia Hebdo de 2011, le fondateur d’Arrêt sur images Daniel Schneidermann dénonce un triste coup de pub grossier : « Pas envie de faire de la pub à cette provocation pas drôle. La dénonciation de toutes les charias, les vraies, les fausses, les réelles, les imaginaires, est un fonds de commerce comme un autre. […] Il faut bien vivre ». Mais il va jusqu’à affirmer avec inconscience ou mauvaise foi que cela se fait sans risque, minimisant la violence des fanatiques qui appelaient à la mort du journal : « C’est un placement sans risque (enfin, disons ce matin, sans trop de risque) » (« Charlie Hebdo, Mahomet, et le piège à cons » Rue89, 2 novembre 2011).

On voit aussi des titres de presse dénoncer le manque d’à-propos, la non prise en compte du contexte diplomatique. « Islam : La caricature qui tombe mal » (Le Parisien, 19 septembre 2012). L’éditorialiste de La République du Centre, Jacques Camus, juge que « l’usage de la liberté satirique ne saurait se pratiquer en méconnaissance d’un danger potentiel lié à un contexte. Le moment n’était assurément pas bien choisi » (20 septembre 2012). Dominique Quinio déplore de voir l’hebdomadaire satirique « souffler sur les braises pour afficher sa noble résistance aux extrémismes », car cela « conduit à blesser de simples croyants et à ruiner les efforts de ceux qui tentent de faire vivre dans notre pays un islam respectueux des lois de la République » (La Croix, 20 septembre 2012).

D’autres, enfin, accusent le journal de racisme ou d’anticléricalisme qui abîment le vivre-ensemble. Et si, face aux violences physiques, ils se sentent obligés de s’indigner, ils restent néanmoins sur une ferme condamnation des propos tenus. Ainsi, Alain Gresh dans Le Monde diplomatique du 20 septembre 2012 : « Pour éviter tout procès d’intention, je tiens à dire que l’on ne saurait tolérer des menaces contre quelqu’un qui a usé de la liberté d’expression, même à mauvais escient. Les lois protègent ce droit et il n’est pas question d’accepter leur remise en cause. Même les imbéciles ont droit à la parole... » conclut-il, cinglant.

Reconnaissons au Monde diplomatique une forte cohérence temporelle, puisque le 13 janvier 2015, l’émotion nationale encore palpable, il continue à jeter l’opprobre sur ceux qui se réunissent sous la bannière (forcément polysémique) « Je suis Charlie », que ce journal reçoit comme une « sommation », « un régime de commandement inséparablement émotionnel et politique » : « Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo. Libération, ce rafiot, vendu à tous les pouvoirs temporels, auto-institué dernière demeure de la liberté d’expression ! Et combien de la même farine derrière Libé pour faire de la surenchère dans le Charlisme ? »

Beaucoup d’éditorialistes et d’articles ont oscillé entre des écrits qui se désolidarisent de l’hebdomadaire au nom d’un esprit de « responsabilité », ou de la dénonciation d’un humour « vulgaire » et de dessins « pas drôles », et des moments de solidarité affichée, dès lors que l’intégrité physique du titre de presse est mise à mal. Cela amène certains éditorialistes à porter des jugements qui renvoient dos à dos les protagonistes, en condamnant la violence des islamistes tout en condamnant Charlie Hebdo pour avoir « jeté de l’huile sur le feu », pour recourir à des « provocations gratuites », pour publier des dessins « stupides », « pas de bon goût », etc. [...]

À l’automne 2012, Le Monde reste sur le même fil du rasoir, entre critique ouverte du journal et défense quand même de son droit à la caricature. « Les caricatures incriminées sont de mauvais goût, voire affligeantes. Elles sont surtout publiées à un moment qui va contribuer sciemment à mettre de l’huile sur le feu, ce qui amène en effet à se poser des questions sur le sens des responsabilités de leurs auteurs et éditeurs. Mais l’on ne saurait renvoyer dos à dos Charlie Hebdo et ses inquisiteurs ». (Éditorial, Le Monde, 20 septembre 2012 : « Intégrisme : faut-il verser de l’huile sur le feu ? »). [...]"

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