Revue de presse

C. Fourest : "Trump face à une survivante yézidi : l’Amérique n’a jamais été si grotesque" (Marianne, 26 juil. 19)

Caroline Fourest, journaliste, essayiste, auteur de "Génie de la laïcité" (Grasset). 9 août 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La rencontre entre Donald Trump et Nadia Murad, survivante yézidie et prix Nobel de la paix, est douloureuse à regarder.

Ce jour-là, Donald Trump reçoit à la Maison-Blanche les « survivants » des pires drames de la planète. Il est assis face à la caméra et leur tourne le dos. Debout autour de lui, chaque éprouvé doit se courber pour capter sa fragile attention. Bravement, un survivant rohingya se lance. A cause des pogroms commis par des fanatiques bouddhistes, son peuple, des centaines de milliers de musulmans birmans, doit se réfugier au Bangladesh. Le président ne sait pas où c’est. « C’est à côté de la Birmanie », doit lui préciser un conseiller. Donald Trump dodeline d’un air entendu, comme s’il situait soudainement la Birmanie. Très bien même.

Le plus embarrassant survient lors de l’échange avec Nadia Murad. Le président se voit affligé d’apprendre un nouveau mot barbare : « yé-zi-di ». Naïvement, on pensait qu’il connaissait. « Rohingya », d’accord. Des musulmans qui se font massacrer par des bouddhistes, ça n’intéresse personne. Surtout pas un président adoré des suprémacistes blancs. Mais les yézidis, une minorité religieuse exterminée par Daech, dont les femmes ont été vendues comme esclaves sexuelles… L’œil du président cille à peine.

C’est pourtant simple comme concept. Ça tient en un tweet. Le président dodeline d’un air entendu. La mort, bien sûr, qu’il connaît. Très bien même. La suite est encore plus tragique. La prix Nobel espérait convaincre les Etats-Unis de faire pression sur les forces en présence pour autoriser les yézidis à retourner chez eux. Le cœur brûlant, elle explique au président qu’ils ne peuvent rentrer à Sinjar à cause des conflits entre les Kurdes et le gouvernement irakien. Donald Trump « bugue » : « Les Kurdes et qui ? »

Nadia Murad est désemparée. L’Amérique comme espoir se meurt sous ses yeux. Un suicide par bêtise. Même pas une mort par balle. Même pas un génocide. Ou alors un génocide culturel. En tout cas, c’est fini. A part la France et son président, qu’elle cite, il n’y a plus de grande puissance qu’on puisse appeler à l’aide. Donald Trump veut retirer ses troupes. Il l’a promis à son public et à Erdogan. Demain, grâce à son inconstance, les Turcs pourront massacrer les Kurdes, nos alliés contre les djihadistes, en toute impunité. Les Kurdes et qui ?

L’acteur sent bien qu’il a oublié son texte. Comme la caméra tourne, il improvise : « Je connais très bien cette région. Très bien cette région. » Dieu qu’il joue mal. Tout son corps joue mal. Sa nuque raide trahit la lassitude de devoir se tourner vers Nadia Murad et tous ces affligés. Tout ça pour entendre parler de viol et de géopolitique. Comme si c’était ses sujets !

La veille, le président a lancé à quatre députées américaines non blanches, dont trois sont nées aux États-Unis, de retourner dans leur pays. L’avant-veille, il pensait se dépêtrer d’une accusation d’agression sexuelle en expliquant que la victime n’était pas son type. Et Nadia Murad, c’est son type ?

Sa moue pincée se tord de nouveau : « Et vous avez eu le prix Nobel. C’est incroyable. Vous pouvez expliquer pourquoi ? » Le président ne voit pas… Cette guerre, pour lui, est finie. Et la lutte contre le viol, chez lui, n’a jamais commencé.

Il y a quelques mois, à la demande de Nadia Murad et d’Amal Clooney, les Européens ont porté l’idée d’un fonds pour aider les victimes de viols de guerre à se réparer. L’administration américaine a tout freiné. Partout, à l’ONU comme au G7, elle bloque le moindre crédit alloué à la « santé reproductive », y compris des victimes de viols de guerre… Par peur de financer le droit à l’avortement !

C’est ça, l’Amérique aujourd’hui. Une nation de bigots présidée par un président accusé de viol, qui refuse d’aider les victimes de viols de guerre par peur d’encourager le droit à l’avortement. Une nation qui ne sait plus bien qui sont les yézidis. Et n’aidera pas les Kurdes en cas de massacre. L’Amérique n’est pas meilleure, comme il l’a promis. Elle n’a jamais été si grotesque."

Voir "Trump face à une survivante yézidi : l’Amérique n’a jamais été si grotesque".


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