Culture

Avignon : quand le théâtre fait du théâtre (G. Durand)

par Gérard Durand 13 mai 2019

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Comme beaucoup d’autres activités, le théâtre a sa grand-messe, elle se déroule pendant trois semaines chaque mois de juillet à Avignon et c’est de celle de 2018 que nous pouvons parler en ce début de printemps.

Disons tout d’abord qu’il n’y a pas un seul mais plusieurs festivals d’Avignon dont chacun a des caractéristiques propres et très distinctes des autres.

Le festival « in » se déroule dans des lieux de prestige, cour du palais des papes, chapelle des pénitents blancs, cloitre des Carmes, chartreuse de Villeneuve etc… Au total, une quarantaine de spectacles. Gavé de subventions jusqu’à l’écœurement – on parle de plus de 13 millions – ses dirigeants savent hurler à l’assassinat sitôt qu’elles se réduisent, même faiblement. C’est ainsi qu’on a pu les voir se pâmer quand la ville d’Avignon a réduit sa participation de 10%, soit moins de 150 000 euros et moins de 1,5 % du total.

Les spectacles présentés ont des caractéristiques très « tendance » ils sont de préférence très longs, rarement moins de deux heures et jusqu’à douze, parlent de la misère du monde ou reprennent un grand classique en le revisitant, et le plus souvent possible faire apparaître un personnage nu, la mode de l’acteur urinant sur la scène semble avoir passé depuis qu’un critique a fait remarquer que ce n’était pas cela qui ferait trembler le CAC40.

Dans le public on va trouver tout ce que le ministère de la Culture, les grandes institutions culturelles et la presse comptent de petits marquis et marquises. Si vous n’êtes pas du sérail n’allez pas leur proposer le tract [1] vantant votre pièce, non seulement ils ne le prendront pas mais vous serez regardé comme une crotte de chien à moins qu’on vous assène un discours vous expliquant avec componction au mieux, dérision au pire que le thème que vous avez choisi est ridicule.

Parallèlement le festival « off » se déroule dans toute la ville, en juillet, les petites salles de théâtre les garages, les lycées, les arrières salles de café, les chapelles et tous les lieux pouvant accueillir plus d’une trentaine de sièges se transforment en théâtres, en 2018 il y en a eu 133, dont beaucoup ont plusieurs salles, recevant 1538 spectacles animés par 4667 artistes, sans compter les techniciens, metteurs en scène, costumiers, éclairagistes etc….

Chaque troupe peut y participer. Le système est simple, elle loue entre 10h et 23h une tranche horaire d’une heure trente à deux heures pour présenter son spectacle. C’est ainsi que chaque salle peut présenter environ six spectacles par jour et que les mille cinq cent troupes venues d’un peu partout peuvent tenter de se faire remarquer par les professionnels sillonnant la ville qui, peut être, viendront les voir et qui peut être les programmeront pour une ou plusieurs dates dans leurs salles.

Ici on ne parle plus de vie mais de survie, la troupe qui ne trouve pas de date est très souvent condamnée à disparaître, encore heureux si elle n’a pas de dettes à payer car ici tout est histoire d’argent et les subventions sont rares. La salle se loue en fonction du nombre de fauteuils qu’elle propose (jauge) autour de 100 euros par fauteuil, soit pour une salle de 50 places 5000 euros pour la durée du festival. Ajoutez à cela les frais d’hébergement de la troupe, les frais d’inscription, les frais de transport et de publicité, et vous aurez une idée du budget. Les conséquences en sont inévitables : comédiens très chichement payés et souvent pas du tout, se nourrissant de sandwiches et s’entassant souvent pour dormir dans les lieux les moins chers.

Les grands gagnants sont les habitants d’Avignon, enfin ceux qui ont un lieu à louer, sans oublier les hôteliers, restaurateurs et autres vendeurs de gadgets touristiques. Explosion du prix des loyers, des tarifs hôteliers et des prix en général. La machine fonctionnant grâce aux petites mains travaillant de 8h à 23h pour un peu plus que le Smic. On comprend mieux que tous ces braves gens qui s’apprêtaient à voter pour le Front national aux dernières municipales ont tourné casaque au second tour quand le festival a menacé d’aller voir ailleurs si ce parti prenait les rênes de la Ville.

Voilà pour l’ambiance, au risque de noircir encore le tableau il faut ajouter que beaucoup d’habitants vous reçoivent mal en vous faisant sentir que l’affluence due au festival les gêne et que vous n’êtes pas le bienvenu.

* * *

Mais, le contenu, me direz-vous ? Bien, sur le contenu ! Que peut-on voir dans ce off ? Souvenons-nous du nombre exceptionnel de 1538 spectacles, entrainant une tout aussi exceptionnelle diversité ou l’on trouve le meilleur et le pire. Le catalogue du off est plus épais que l’annuaire du téléphone de nombreux départements et il faut une bonne dose de courage aux spectateurs pour s’y retrouver, tout au plus peut-on discerner quelques grandes tendances.

  • Le spectacle business (182 spectacles). Il est le fait de quelques lieux, principalement des cinémas convertis en théâtres pour le mois de juillet, et concerne principalement les humoristes que produisent à la chaine certaines écoles. L’important pour eux est de pouvoir inscrire sur leurs affiches « succès en Avignon » même si le succès a été très relatif et n’a duré qu’une semaine car la production les fait tourner. Certains passent la barre et poursuivent une carrière, beaucoup passent à la trappe.
  • La comédie est massivement représentée avec 156 spectacles et l’on y trouve les grands classiques comme Molière, Labiche ou des pièces très récentes cherchant à se « lancer ».
  • Le spectacle de rue (52 spectacles) qui peut couvrir la musique, le cirque, les petites pièces de rue ou des mini comédies musicales et les clowns, la plupart des troupes arrivent directement du festival du théâtre de rue de Brive la Gaillarde, ce qui leur donne une double chance, à condition d’avoir quelques moyens.
  • Les spectacles pour jeune public (64) que l’on trouve généralement le matin entre 10h et midi dans une poignée de salles, l’érotisme en Avignon va en effet crescendo, il faudra attendre 23 h pour trouver des spectacles « pour adultes ».
  • Les spectacles musicaux (179) il couvrent tous les styles de musique et de théâtre musical.
  • Enfin une masse de 665 spectacles couvrant tous les types de théâtre, du plus moderne au plus classique, on y trouve le Tartuffe revu par une compagnie moderne (Out of artefact) comme La Machine de Turing joué par une compagnie de Créteil ou La Belgique expliquée aux Français jouée par deux enseignants de Namur qui font toujours salle comble.

Pour terminer cette analyse il convient de souligner deux points. Le premier est une forte dominante des « seuls en scène » qui est la traduction du manque de moyens criant chez ces petites compagnies. Et la seconde est l’absence quasi totale de certaines disciplines, comme l’art du récit (14 spectacles), le café-théâtre qui semble passé de mode avec seulement 14 spectacles, la lecture avec 4 spectacles comme le mime, ou encore la poésie avec 8 spectacles. Le théâtre social ne fait pas d’avantage recette avec 18 spectacles.

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Le constat est très sévère mais il reflète bien la réalité, c’est l’envers d’un décor qui n’est cependant pas entièrement négatif, Avignon reste pendant un mois le plus grand théâtre du monde et, même si pour certains c’est Marche ou crève ! il présente aussi beaucoup de jeunes talents dont la presse nous parle rarement, obnubilée par le seul festival in. Certains s’en sortent très bien et font de belles carrières, à commencer par Olivier Py, son actuel directeur mais aussi Simon Abkarian ou Alexis Michalak. Avignon est une caricature de libéralisme sauvage avec son lot d’échecs et quelques survivants.

En septembre prochain la saison théâtrale va s’ouvrir et l’on y verra beaucoup de spectacles sélectionnés en Avignon 2018, car les professionnels sont venus faire leur marché en 2018 pour la saison 2019-2020.

A suivre.

Gérard Durand

[1Non, le flyer (ndlr).


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