Revue de presse

A. Finkielkraut : « Il existe une civilisation française » (La Croix, 6 déc. 13)

7 décembre 2013

"Opposant de longue date aux excès du multiculturalisme, le philosophe Alain Finkielkraut revient, dans son nouvel essai « L’Identité malheureuse », sur l’intégration de l’islam en France.

La Croix : Près de vingt-cinq ans après votre appel à l’interdiction du voile musulman à l’école [1], comment expliquez-vous la persistance de la polémique sur ce signe religieux ?

Alain Finkielkraut : En 1989, les critiques ont été très vives contre notre manifeste. Nous étions peu nombreux à dénoncer les dangers d’une « capitulation » de l’école, mais nous avions obscurément conscience que la laïcité était mise au défi par une communauté particulière, du moins par certains de ses représentants. Ce fut pour moi l’occasion de me redécouvrir républicain.

Le débat persiste, car le port du voile met en lumière deux conceptions de la laïcité. La première est fondée sur la liberté de conscience, la séparation de ce qui relève de la chose publique et du domaine privé. Si, en France, les laïcs et les clercs se sont violemment opposés dans le passé sur ce point, la liberté religieuse ne fait plus débat. Mais il y a un autre fondement de la laïcité, dont j’ai lu la définition chez Pascal, penseur chrétien, qui repose sur la distinction des ordres de la foi et de la raison. C’est cette conception de la laïcité que remet en cause le voile. Il n’est pas tant le vêtement de la pudeur que l’affiche d’une foi qui se veut au-dessus du savoir.

Vous insistiez en 1989 sur la spécificité de l’école. Or aujourd’hui, le débat se déplace sur les crèches, l’université, l’entreprise…

La question est de savoir s’il convient de soumettre l’islam aux lois de la République ou d’adapter nos lois aux exigences de l’islam. Face à cette alternative, les partisans d’une laïcité non négociable redeviennent, comme en 1989, minoritaires. On le voit avec l’affaire Baby Loup. Le Haut Conseil à l’intégration qui plaidait pour une loi a été mis en sommeil et Jean-Louis Bianco, à la tête de l’Observatoire de la laïcité, explique que la France n’a aucun problème avec sa laïcité ! Il s’agit de ne pas faire de vagues, de prendre acte de la nouvelle réalité sociale, de se plier à la loi du nombre. On se dirige aujourd’hui vers un accommodement déraisonnable sur la question du voile.

Vous revendiquez-vous d’une laïcité de combat ?

Non, il s’agit plutôt d’une laïcité de défense. Le voile à l’école n’est pas conforme à notre idée de la laïcité, à notre tradition des relations entre hommes et femmes, à l’esprit général de la civilisation française. Il importe aujourd’hui de préserver le vivre-ensemble de revendications exorbitantes. Nous avons la chance d’habiter un pays qui a créé une civilisation. Toutes les nations ne peuvent pas se prévaloir d’une telle réussite.

Notre histoire a sa part d’ombre mais, c’est un fait, il existe une civilisation française. Moi qui suis français de fraîche date, je n’en tire aucune fierté, mais une exigence. Il nous incombe de transmettre cet héritage. Or aujourd’hui, toutes les identités ont droit de cité, sauf l’identité française. Nous n’avons rien à gagner à voir la France tourner la page de la France, la nation se transformer en société multiculturelle. Plutôt qu’organiser un débat sur l’identité, il faut recentrer l’école sur son devoir de transmission et retrouver la maîtrise d’une politique migratoire… La France doit réapprendre à être une nation.

Dans une société individualiste, consommatrice, les communautés ne sont-elles pas contraintes à un certain repli sur soi pour transmettre ?

Que les individus aient plusieurs allégeances, je le conçois. Je n’aurai pas apprécié qu’on me demande de cesser d’être juif pour être pleinement français. Mais l’appartenance à une communauté ne doit en aucun cas basculer dans le communautarisme. Le désir de reconnaissance est légitime, mais il doit y avoir place aussi pour un désir de connaissance. Or, le multiculturalisme tend à remplacer la connaissance par la reconnaissance.

Qu’est-ce que l’hospitalité ?

Il faut choisir entre deux conceptions. Soit elle consiste à offrir le meilleur de ce que l’on a, soit à s’effacer soi-même pour permettre à l’autre de rester ce qu’il est. Cette deuxième conception s’impose de plus en plus et c’est un véritable gâchis. Au nom du respect, on appauvrit les nouveaux entrants et on s’appauvrit soi-même. [...]"

Lire "Alain Finkielkraut : « Il existe une civilisation française »".

[1En 1989, Alain Finkielkraut avait co-signé un appel intitulé « Profs ! Ne capitulons pas ! », relayé par Le Nouvel Observateur, pour faire interdire le foulard islamique à l’école.



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