Revue de presse

"Abaya : de Marseille à Roubaix, une interdiction respectée mais contestée" (Le Figaro, 5 sept. 23)

10 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] Si aucun incident n’a été constaté et que les élèves concernés se sont globalement pliés à la règle, le discours est le même, répété à l’envi : « L’abaya n’est pas une tenue religieuse. » Ils invoquent la liberté. Et certains, provocateurs, tentent de jouer avec la règle. À Marseille, au lycée Victor-Hugo, dans le quartier de la Belle-de-Mai, l’un des plus pauvres de France, le passif est lourd. L’an dernier, l’abaya a fait l’objet d’une violente polémique. Le nouveau proviseur avait convoqué les jeunes filles concernées, pour qu’elles retirent leur tenue. Des entretiens que certains professeurs avaient jugés dégradants, tandis que la CGT lançait une grève en soutien aux élèves.

Lundi, sur les 200 lycéens présents à 9 heures, une vingtaine de jeunes filles arborent foulard et tenues ostensiblement religieuses. « Ce ne sont pas des abayas, juste des tuniques larges sur des pantalons larges », expliquent les camarades qui les entourent. Une de ces adolescentes, tout de noir vêtue mais portant un voile blanc, attire les regards. La provocation est évidente. Sonia, qui l’accompagne, précise qu’il ne s’agit pas d’une robe mais d’« un grand kimono ». Aucune des jeunes filles n’invoque la religion ou l’islam. Le discours est toujours celui de la liberté. Un peu à l’écart, une élève de seconde recouverte d’un voile, sur une tunique très longue, est accompagnée de son père.

L’homme barbu justifie sa présence « pour qu’on ne l’embête pas ». Il est le seul à reconnaître que cette tenue relève de « sa culture et sa religion ». En passant la porte, sa fille, comme toutes celles qui sont couvertes, abaisse son voile. Certaines le rangent dans leur sac. D’autres, malgré la chaleur, le gardent autour du cou. En amont de la rentrée, Gabriel Attal avait indiqué que les élèves se présentant à l’école revêtus d’abayas ou de qamis ne pourraient pas entrer en classe, mais seraient « accueillis » par les établissements scolaires, qui devraient dès la rentrée « leur expliquer le sens » de l’interdiction.

Aux quatre coins de France, le respect de la règle fixée par Gabriel Attal était scruté de près, notamment dans les établissements où les abayas s’étaient installées l’an dernier. Dans des lycées de Marseille, Lyon, Vénissieux, de Seine-Saint-Denis ou de la banlieue toulousaine où, selon le SNPDEN-Unsa, premier syndicat des personnels de direction, ces tenues pouvaient se compter « par dizaines, voire par centaines ». Lundi, le ministre a indiqué que « 513 établissements » avaient été « identifiés comme potentiellement concernés par cette question-là à la rentrée scolaire » et affirmé que « des personnels formés sur les questions de laïcité » avaient été « positionnés » dans ces établissements.

Posé à mi-pente entre la mairie de Vénissieux et le plateau des Minguettes, le lycée Jacques-Brel faisait partie des établissements surveillés. Le rectorat de Lyon avait envoyé en renfort un de ses surveillants spécialisés devant les grilles où, l’an dernier, de nombreuses élèves avaient régulièrement arboré ces tenues.

Ce lundi, l’une d’elles n’a pas pu accéder à sa classe. Elle ressort de l’établissement et rapporte l’incident à son père au téléphone, nerveuse. « Je ne comprends pas », commente une de ses amies, qui enlève son foulard avant d’entrer dans l’établissement, comme beaucoup de jeunes filles en ont pris l’habitude depuis le collège. « Personnellement je ne veux pas de problème », explique-t-elle. À entendre l’équipe pédagogique, il est parfois difficile d’identifier l’intentionnalité des élèves. « La récurrence peut être un indicateur », estime-t-on.

« Je vais l’enlever. C’est pas comme si je n’avais pas l’habitude. Mais je n’en ai pas forcément envie. » Devant les grilles de son lycée parisien, entre le boulevard des Maréchaux et le périphérique, Asma, 18 ans, retire son abaya noire et son voile, laissant apparaître, au-dessus de ses baskets Nike, un jogging gris et un sweat-shirt beige. La jeune fille entre ce matin en terminale. Devant le portail de l’établissement, des personnels accueillent les élèves. Et, pour les entrants en sixième, leurs parents également, parmi lesquels plusieurs mères voilées.

Asma a assimilé l’interdiction et s’y plie. Mais elle la juge injuste. « La laïcité, elle n’est pas toujours respectée. Dans mon lycée précédent, une fille portait une croix. Moi, ma prof principale m’a convoquée parce que je portais une longue jupe et qu’elle disait que ce n’était pas laïque », poursuit la jeune fille, qui a été renvoyée de deux établissements parisiens, avant d’atterrir ici, dans cette cité scolaire d’éducation prioritaire, située en QPV (quartier de la politique de la ville). L’établissement compte deux classes pour élèves allophones.

Son indice de positionnement social est faible. Le lycée, qui souffre des stratégies d’évitement de populations plus aisées, accueille une grande partie d’élèves issus de l’immigration subsaharienne. « L’abaya, c’est pas une tenue religieuse, affirme Asma. Je me suis renseignée. Ça vient du Moyen-Orient. » Pourquoi la porte-t-elle ? « Je me sens plus à l’aise », commente-t-elle. « Le voile m’a aidée dans mon cheminement », poursuit la jeune fille qui, depuis la fin 2021, a décidé de « se couvrir un peu plus » pour être « plus proche » de sa religion, l’islam, et de ses « normes ».

Sa mère et sa sœur ne portent pas l’abaya. Asma est la première de sa famille. Ses parents, au début, n’y ont pas vu d’objection. Avant que les choses se compliquent à l’école. « Et depuis la décision de Gabriel Attal, ils m’ont dit de ne plus la mettre », explique-t-elle. « Cette jeune fille est revenue chez nous pour passer son bac. Elle a accepté la règle parce qu’elle sait que nous serons intransigeants », explique la chef d’établissement qui, le matin, dans son discours d’accueil, a rappelé l’interdiction. « C’est un cadre protecteur pour éviter les pressions, à un moment où ces élèves construisent leur identité personnelle », poursuit-elle.

L’an dernier, elle a reçu en entretien une dizaine de jeunes filles venues au lycée revêtues d’une abaya. Elles invoquent souvent la « pudeur ». Et l’ancienne professeur de latin leur rappelle l’étymologie du terme, qui signifie « honte ». « Il est lassant de ne parler qu’à des femmes, lassant de voir que les obscurantistes ne s’intéressent qu’au corps des femmes », assène-t-elle. Des affaires liées au qamis, elle n’en a pas eu.

À Roubaix, au lycée Van-Der-Meersch, Fridws, 16 ans, a porté plusieurs fois l’abaya l’an dernier. En cette rentrée, elle arbore un ensemble kaki, pantalon et chemise très longue. À contrecœur. « Je préfère ne pas prendre le risque, mais je trouve ça anormal. J’ai le droit de choisir de me couvrir, pour me protéger du regard des hommes. Franchement, là, ça me donne envie de changer de pays », explique-t-elle. Un peu plus loin, Anaïs, qui rentre en seconde, n’apprécie pas la polémique : « L’abaya, ça sert à cacher les formes. Franchement, demandez aux élèves, ça ne pose problème à personne. » Maxime, 15 ans, renchérit : « Ça ne se fait pas d’interdire. Chacun met ce qu’il veut et ça devrait être comme ça pour tous les vêtements. On s’en fout de l’abaya. » [...]"



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