Revue de presse

A L’Île-Bouchard, les cathos tradis multiplient les parpaings (Charlie Hebdo, 16 fév. 22)

21 février 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans le village de L’Île-Bouchard (Indre-et-Loire), la communauté de l’Emmanuel fait son trou petit à petit et en silence. Sauf quand la société immobilière Monasphère envisage de faire venir 17 familles pour vivre dans un entre-soi traditionaliste et oppressant qui dérange les laïques et inquiète même certains catholiques.

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[...] Ce qui se passe à L’Île-­Bouchard n’a finalement rien d’extraordinaire. La Vierge n’étant jamais avare d’apparitions auprès de mômes considérées comme pures et innocentes mais surtout influençables ou, au contraire, manipulatrices  ! « L’histoire est restée la même pendant des décennies. Des fillettes avaient soi-disant vu la Vierge. Et puis, c’est tout. On n’en parlait plus guère », explique Guy Jouteux, jovial retraité et ex-maître-queux de l’ancien hôtel-restaurant Les Quatre Vents. Mais ça, c’était avant. Avant « l’arrivée de la communauté de l’Emmanuel, à la fin des années 1990 ».

Élu municipal d’opposition, le cuisinier à la retraite est aussi l’un des membres d’un collectif bien décidé à dénoncer la mainmise de cette association internationale, créée en 1972, qui se donne pour mission de réévangéliser la France, ainsi que l’implantation locale d’un tout premier hameau religieux.

C’est en 1997, alors que se profile le cinquantième anniversaire des apparitions mariales, que la commu­nauté de l’Emmanuel débarque à L’Île-­Bouchard et commence à y prendre ses aises. Un tel sanctuaire, à la fois marial et angélique, c’est pain bénit pour ces catholiques charismatiques qui savent rendre vivace et visible leur foi, organiser des pèlerinages et monétiser le moindre service. En peu de temps, l’Emmanuel parvient à mettre la main sur les églises du village et à placer ses pions au niveau de l’archevêché de la région.

Une balade digestive en compagnie de Guy Jouteux renseigne sur le grignotage géographique des membres de ­l’Emmanuel, qui s’agglutinent autour de l’édifice religieux rive droite. Mais ce n’est rien à côté de ce qui se prépare rive gauche. Là, une fois passée l’église Saint-Maurice et sa messe en latin mensuelle, on arrive rapidement au lieu-dit Le Meslier. Dans un champ, des balises de géomètre marquent l’emplacement du futur Clos Saint-Gabriel. Pour le moment, ce n’est qu’une parcelle herbeuse de 1,2 hectare, mais l’agence immobilière Monasphère entend bien y caser, collées-serrées, 17 maisons individuelles. Le tout devant constituer une « oasis » implantée « au cœur de la Touraine, sous le voile de la Vierge et à l’ombre de l’Ange ».

C’est un article de La Nouvelle République, daté du 13 janvier, qui a mis le feu aux poudres. Les journalistes révélaient comment Monasphère entend faire sortir de terre un village dans le village. Devant les soupçons de communautarisme, Damien Thomas et Charles Wattebled, les créateurs de Mona­sphère, savent argumenter. En janvier 2022, ils déclaraient dans la presse quotidienne régionale : « On ne va pas demander aux gens s’ils se signent à la messe le dimanche pour acheter une maison  ! » Par contre, au micro de Radio Notre-Dame, les startupers font clairement état de leur mission chrétienne. Et, pour trouver les fonds nécessaires à cette petite entreprise immobilière, nos Stéphane Plaza version catho ont fait appel à un troisième larron : Pierre-Édouard Stérin.

Cocréateur et principal actionnaire des coffrets Smartbox, Pierre-Édouard Stérin est un drôle de personnage. Il se retrouve parfois cité dans la liste des soutiens d’Éric Zemmour. Lui se définit comme un libertarien. Fervent catholique mais mauvais citoyen – il est exilé fiscal depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande –, Pierre-Édouard a prévu de ne pas laisser un kopeck à ses enfants mais de léguer l’intégralité de sa fortune, estimée à 800 millions d’euros par le magazine Challenges, à des fondations. De quoi chouchouter l’éclosion d’un hameau catho tradi en France. Le premier d’une longue série, selon les vœux des promoteurs. « Six ou sept autres projets de cette nature sont dans les cartons de l’agence immobilière, dont un dans l’Indre […]. L’objectif serait alors d’ouvrir cent « sphères » chrétiennes d’ici dix ans », rapporte encore La Nouvelle République.

La nouvelle inquiète les membres du collectif contre le projet Monasphère. « La communauté de l’Emmanuel, ce n’est pas rien, explique Betty Delavenna, professeure d’allemand à la retraite et bouchardaise depuis la fin des années 1960. Elle relève directement de Rome, et étant de droit pontifical, elle fait ce qu’elle veut ou presque dans les nombreuses paroisses du coin. »

Au quotidien, comment vit-on le voisinage avec les curés noir corbeau et les grenouilles de bénitier  ? « C’est insidieux et tentaculaire », estime l’alerte retraitée. Et de citer en vrac : le refus de laisser jouer les concertos du franc-maçon notoire Mozart dans une église voisine  ; le porte-à-porte pour inciter les parents à mettre leurs enfants à l’école privée  ; les cours d’auto-école où, fut un temps, on apprenait à conduire mais aussi à prier. Idem pour les cours de rattrapage scolaire où la prière servait à préparer le bac… « Ça fait peser un ordre moral sur les gens », résume Betty Delavenna.

Mais c’est fait avec doigté, car les membres de la communauté de l’Emmanuel sont, eux aussi, les rois du « en même temps » : modernes dans les techniques de recrutement  ; passéistes dans les rites, les valeurs et les idées. Les prêtres en soutane blanc et vert, les bonnes sœurs de noir et de gris vêtues, les jeunes couples suivis de quatre ­gamins, la messe quotidienne à l’église Saint-Gilles vous transportent dans les années d’après-guerre. Ici, avant le début de la messe, les paroissiens disent le chapelet bras en croix, extatiques. Ici, on fait la queue au confessionnal. La liste des péchés est même expressément notée sur un petit livret. Comme « l’utilisation de moyens contraceptifs » qui suppose de « n’être pas assez généreux pour accepter une nouvelle vie », « les relations sexuelles en dehors du mariage religieux » ou encore la participation « de quelque façon à un avortement ou à la mort de quelqu’un ».

Pour garantir des bonnes mœurs, quoi de mieux que les retraites spirituelles ou des ateliers de réflexion dans deux magnifiques propriétés de la communauté. François de Laforcade, spécialiste maison des questions de la vie des ménages, organise régulièrement des parcours « pour construire son couple sur un roc  ! ». Auparavant, il était aussi en charge de l’immobilier pour la communauté de l’Emmanuel. Or il se trouve qu’il est, depuis 2020, premier adjoint à la maire, chargé de l’urbanisme. Naturellement, les regards se sont tournés vers lui lorsque Monasphère a décidé d’implanter son projet pilote sur la discrète L’Île-Bouchard. Contacté par la presse, François de Laforcade n’a cessé de réfuter tout rôle dans l’affaire. Et comme mentir est un péché, ben, il ne mentait pas  ! C’est plus prosaïquement le gérant du Super U local et président de l’Union des commerçants et artisans qui a joué les entremetteurs entre les propriétaires du terrain et Mona­sphère pour dynamiser l’économie du village. L’étude notariale est ravie, elle aussi, de voir arriver de nouveaux lotissements qui pourraient faire grimper les prix, et la maire table sur des enfants pour repeupler l’école. Crédulité, quand tu nous tiens…

Guy Jouteux, lui, sait déjà que les fanas de l’Emmanuel ont leurs têtes et leurs rites, et que leurs gamins ne fréquentent pas « l’école du diable ». En rigolant, il se souvient des cars de pèlerins qui venaient s’attabler chez lui en plein carême, réclamer du pain et de l’eau, ne pas payer mais taper dans l’assiette d’un voisin moins respectueux des interdits alimentaires  ! Quant à Betty Delavenna, elle est persuadée que, contrairement au vœu du dernier conseil municipal, le 9 février, qui misait sur l’apprentissage du vivre-ensemble, « tout dans le Clos Saint-Gabriel est révélateur d’un enfermement. C’est le contraire de l’ouverture aux autres que j’ai transmise à mes élèves toute ma vie ».

Alors, certes, « tout est légal », reconnaissent les opposants du collectif, « mais ça n’empêche pas d’être vigilants et de se ­poser des questions », précise Guy Jouteux tout en déplorant la passivité d’une partie des habitants, qui « se moquent de cette emprise ou bien ne voient même pas le problème ». Pire, « on entend souvent : « Vaut mieux ça que des cas sociaux ou des musulmans » », s’insurge une habitante qui souhaite garder l’anonymat.

Et pourtant, « que dirait-on si un village « musulman » se créait quelque part en France  ? Un « village » par essence catho­lique n’a pas plus de raison d’exister. On y voit la nostalgie d’une France du passé qui devait allégeance […] à l’autorité religieuse », note dans un communiqué l’association des Chrétiens pour une Église dégagée de l’école confessionnelle (Cedec), qui place la citoyenneté et la République laïque au-dessus de la croyance. Monique Cabotte-Carillon, sa présidente, ne mâche pas ses mots pour dénoncer les pratiques de la communauté de l’Emmanuel et s’insurge contre la construction de ces « îlots » et le risque qu’ils font peser sur « l’universalisme républicain ». Cette France qui sent la naphtaline tente régulièrement de regagner du terrain. Ce fut le cas des « maurassiens et les anti-dreyfusards ». On les retrouve aussi « à l’époque de la Collaboration, dans les rangs d’Ordre nouveau, et aujourd’hui autour d’Éric Zemmour », note encore le Cedec. Parce que, finalement, les religions, toutes tendances confondues, ne peuvent pas s’empêcher de lorgner du côté de la cité. Et de vouloir la régenter. À L’Île-Bouchard comme ailleurs."

Lire "Communauté de l’Emmanuel : la Sainte Vierge multiplie les parpaings".



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