Revue de presse

A. Finkielkraut : "J’assume, mieux qu’en 1989, la particularité française" (L’Express, 18 sep. 19)

Propos recueillis par Anne Rosencher. 3 novembre 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Signataire de l’appel des intellectuels en 1989 lors de l’affaire des foulards islamiques de Creil, Alain Finkielkraut revient pour L’Express sur cet événement.

Trente ans ont passé depuis l’affaire de Creil et la tribune que vous avez signée. Comment avez-vous vécu les choses à l’époque ?

Il me faut d’abord rappeler le contexte. Après l’exclusion temporaire de trois élèves qui avaient refusé d’ôter leur foulard islamique en classe, la levée de boucliers a été spectaculaire : le grand recteur de la mosquée de Paris, l’archevêque de Paris, le porte-parole des protestants de France, le grand rabbin..., tous ont protesté d’une même voix et appelé à ne pas "faire la guerre aux adolescentes musulmanes". Et les associations antiracistes se sont jointes au concert : elles voyaient dans cette décision la volonté d’exclure les jeunes filles, alors qu’il s’agissait d’exclure le voile des écoles. Pour ne rien arranger, le ministre de l’Education de l’époque, Lionel Jospin, prétendait, lui, qu’il fallait essayer de "convaincre ces jeunes filles et leurs parents", mais que, faute d’y arriver, il fallait se résoudre à les accueillir. Autrement dit, négocier et, si la négociation échouait, capituler. C’est ce que nous avons écrit dans cette tribune. Nous avons été très attaqués, notamment dans la presse de gauche.

Qu’est-ce qui a changé depuis ?

D’abord, nous avons fini par avoir gain de cause. Pas à l’époque, mais en 2004. Fait intéressant : la loi sur les signes religieux dans l’école publique a été promulguée à la suite des conclusions de la commission Stasi, laquelle était a priori hostile à une interdiction. Mais ses membres ont finalement été convaincus par les témoignages recueillis, et notamment ceux de certaines jeunes filles, qui décrivaient l’école laïque comme un recours pour échapper à la pression familiale et communautaire. La loi a été votée, donc. Mais pour certains, les griefs restent intacts : toute la gauche radicale - d’une partie de la France insoumise aux Indigènes de la République - continue de penser que c’est une loi "islamophobe" - concept que je récuse car, sous ce nom, ce qui est censuré, c’est la liberté de pensée et de parole sur l’islam. Autre chose : cette loi n’est toujours pas comprise dans la plupart des autres pays occidentaux, qui y voient une loi "discriminatoire", "indigne de la patrie des Droits de l’homme". Je dois dire que, sur ce point, j’ai évolué : dans un premier temps, je me suis dit, et notamment au moment où j’ai signé ce texte, que nous seuls, Français, étions vraiment laïcs.

Vous ne le pensez plus ?

Force est de constater qu’il y a plusieurs façons de sortir de "la maison du père". Nos détracteurs occidentaux ne disent pas que cette loi est sacrilège, qu’elle insulte Dieu. Ils disent qu’elle est liberticide. Ils invoquent la liberté de conscience, c’est-à-dire une autre forme de laïcité. Là où j’ai changé, c’est que je ne dis plus que nous, Français, sommes détenteurs de l’universel. J’assume, mieux qu’en 1989, notre particularité en tant que telle : c’est ainsi que nous concevons la laïcité et cela tient peut-être aussi à nos mœurs, à notre manière spécifique de traiter la question de la coexistence des sexes. En 1989, c’était un message à l’humanité que nous adressions. Je continue à le faire. Mais si une partie de l’humanité sécularisée choisit la voie du multiculturalisme, j’en prends acte. Simplement, la France a le droit et le devoir de rester elle-même.

Justement. La loi a été promulguée, mais on ne peut pas dire qu’elle ait freiné l’avancée du communautarisme. Certains pensent qu’on ne pourra pas revenir au modèle républicain universaliste, qu’il faut désormais réfléchir dans le cadre du communautarisme, qui s’est imposé comme nouveau paradigme...

C’est la thèse soutenue avec beaucoup talent par Pierre Manent dans Situation de la France : il veut signer une sorte de compromis avec l’islam. Je ne suis pas d’accord, car les femmes seraient les premières à en faire les frais. José Ortega y Gasset parle, dans La Révolte des masses, d’un droit à la continuité historique. La France doit absolument défendre ce droit, il est le plus fondamental des droits de l’homme. Bien sûr, il y a là un immense défi : comment intégrer une minorité quand, dans de plus en plus de communes, voire de départements et a fortiori d’écoles, cette minorité est devenue majoritaire ? Mais croire qu’on arrivera à contenir le communautarisme en lâchant du lest, cela me paraît chimérique et dangereux…"

Lire "L’affaire des foulards de Creil : "J’assume, mieux qu’en 1989, la particularité française"".



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